Récompensés du Prix Handi-Livres 2017 dans la catégorie Meilleur Guide, les trois cahiers pédagogiques d’André Fertier sur la danse et le handicap (Danse & handicap visuel, Danse & handicap moteur, Danse & handicap auditif) – auxquels ont participé Anne-Marie Sandrini et Kathy Mépuis, respectivement présidente et directrice artistique de La Possible Echappée – ont été conçus à la manière de mémentos pratiques. Ils sont destinés aux enseignants et professionnels de la danse désireux de s’investir dans une démarche d’accessibilité.
Le premier tome, Danse & handicap visuel, explore les bonnes pratiques, les solutions d’aménagement des lieux de spectacles et d’enseignement mais aussi les approches chorégraphiques adaptées aux publics en situation de déficience visuelle. Retour sur quelques bonnes pratiques à adopter.
Permettre l’accès au patrimoine chorégraphique aux personnes en situation de handicap visuel
D’après l’OMS, à l’échelle mondiale, près d’1,3 milliards de personnes sont en situation de déficience visuelle. Ces déficiences vont de difficultés légères à voir de loin (188,5 millions de personnes) à la cécité (36 millions de personnes), en passant par les déficiences visuelles modérées et sévères (pour 217 millions de personnes). Les problèmes de vue touchent en majorité un public relativement âgé (+ 50 ans). En France, on estime à 2 millions le nombre de personnes malvoyantes dont 207 000 aveugles d’après la Fédération des aveugles et amblyopes de France.
Contrairement à d’autres formes d’art comme la musique, la danse est une pratique artistique éminemment liée à la vue. Le patrimoine chorégraphique fait appel aux gestes, aux mouvements, à l’utilisation de l’espace : autant d’éléments difficilement accessibles aux personnes en situation de handicap visuel. Mais la transmission du patrimoine chorégraphique à ce public particulier n’est pourtant pas impossible. Le cahier pédagogique Danse & handicap visuel énumère en effet plusieurs outils permettant de faire comprendre les œuvres et de transmettre les émotions qu’elles suscitent.
Il est par exemple possible de recourir à l’audio-description, pour décrire les éléments visuels d’une œuvre (comme les décors, les personnages, les actions, l’ambiance). Mais cette technique, quand elle est disponible, se heurte cependant à une difficulté de taille : quels mots peuvent décrire correctement un mouvement ?
C’est pour cette raison que d’autres techniques alternatives et/ou complémentaires sont appréciées, comme le recours aux documents adaptés. Ils visent à transmettre l’information aux personnes présentant un handicap visuel par exemple en utilisant de gros caractères, le relief ou le braille. Pour créer de tels documents, on peut notamment se référer aux outils FALC – Facile à Lire et à Comprendre.
Dans une approche différente, basée sur le toucher, certains lieux de spectacle proposent des visites tactiles en amont des représentations, assorties parfois d’outils de médiation pour faciliter la compréhension du spectacle.
Enfin, certaines créations chorégraphiques ont été pensées pour être accessibles sans la vue, comme les créations des chorégraphes Nicole Seiler ou Didier Silhol.
Rendre accessible l’enseignement de la danse et les lieux d’enseignement
Pour que les cours de danse soient accessibles aux personnes en situation de déficience visuelle, encore faut-il que les lieux d’enseignement soient accessibles. Cette accessibilité nécessite de reconsidérer un ensemble de paramètres, comme le bâtiment en lui-même, l’accueil, la formation du personnel. Pour se faire, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble du personnel de l’établissement, mais aussi les élèves et leurs parents, dans une approche globale et concertée.
Pour rendre un lieu plus accessible, il est pertinent par exemple de réaliser des travaux destinés à faciliter l’accès aux salles de danse, aux locaux annexes (toilettes, vestiaires) et l’utilisation des salles (installation de marquages visibles au sol, de repères olfactifs ou auditifs), de revoir les procédures de sécurité en cas d’urgence, de définir les cours accessibles, de développer des partenariats avec des associations locales spécialisées.
Quant à l’apprentissage de la danse en lui-même, il est le fruit d’interactions entre les élèves et leur enseignant. Cela nécessite de l’enseignant une grande capacité d’adaptation, d’écoute et d’empathie pour réussir à s’adresser à un public riche de diversité, en particulier lorsqu’il s’agit d’intégrer un élève en situation de handicap.
Pour que l’enseignement soit constructif, tant pour l’élève malvoyant que pour le reste du groupe, le cahier pédagogique consacré au handicap visuel recommande au préalable de définir correctement le projet personnel de l’élève. Il est impératif de connaître ses besoins mais aussi ses possibilités d’accompagnement et d’en discuter au cours d’un entretien. Ce dernier est également l’occasion de conseiller l’élève, de lui expliquer le fonctionnement de l’établissement, le déroulement d’un cours et, si besoin, de l’orienter vers certains types de danse, sans toutefois tomber dans les clichés.
Une fois le projet défini et la salle préparée, l’accueil au premier cours est également un moment particulièrement important. Intégrer correctement l’élève au groupe et lui donner des repères lui permettront de comprendre le déroulement d’un cours et de se déplacer dans le studio de danse. Pour cela, il ne faut pas hésiter à organiser un temps de parole collectif et à aborder les différentes questions qui pourraient se poser, sans tabou et en toute simplicité.
Enfin, les techniques d’apprentissage de la danse doivent également être adaptées et évolutives, pour prendre en compte les particularités de l’élève malvoyant ou non-voyant. L’apprentissage des postures résulte souvent d’une reproduction par mimétisme visuel, ce qui peut poser de réelles difficultés pour les personnes en situation de déficience visuelle. L’enseignant devra être particulièrement attentif et guider l’élève en situation de handicap, que ce soit par les mots, par le toucher, l’utilisation d’objets sonores ou d’objets médiateurs.
Comme le conclut le cahier pédagogique d’André Fertier, la pratique de la danse par les personnes en situation de handicap visuel soulève de nombreuses interrogations pour les enseignants et les professionnels de la culture. Il est en effet difficile de comprendre comment les malvoyants et non-voyants se représentent le corps en mouvement. Mais la pratique de la danse et les spectacles dansants vont bien au-delà de la vue. La danse offre de nombreuses possibilités pour transmettre savoirs et émotions. Les enseignants doivent se percevoir avant tout comme des passeurs d’émotions et de la conscience du corps en mouvement. Cette vision concorde totalement avec celle de La Possible Échappée : lors de nos ateliers pédagogiques, l’élève est au cœur du processus, l’enseignant est avant tout un guide vers une plus grande confiance en soi, vers une découverte de ses possibilités.