Récompensés du Prix Handi-Livres 2017 dans la catégorie Meilleur Guide, les trois cahiers pédagogiques d’André Fertier sur la danse et le handicap (Danse & handicap visuel, Danse & handicap moteur, Danse & handicap auditif) – auxquels ont participé Anne-Marie Sandrini et Kathy Mépuis, respectivement présidente et directrice artistique de La Possible Échappée – ont été conçus à la manière de mémentos pratiques. Ils sont destinés aux enseignants et professionnels de la danse désireux de s’investir dans une démarche d’accessibilité.
Le dernier tome Danse & handicap auditif explore les bonnes pratiques et solutions d’aménagements des lieux de spectacle et d’enseignement mais aussi les approches chorégraphiques adaptées aux publics atteints de surdité. Retour sur quelques bonnes pratiques à adopter.
L’accès au patrimoine chorégraphique des personnes en situation de déficience auditive
La déficience auditive désigne la perte partielle ou totale (surdité) de l’acuité auditive. Le handicap auditif peut être congénital, transmis par la mère au cours de la grossesse ou acquis, suite à une maladie infectieuse, à l’exposition à un bruit excessif ou au vieillissement.
D’après l’Organisation mondiale de la santé, 466 millions de personnes dans le monde souffrent d’une déficience auditive handicapante (perte d’audition supérieure à 40 décibels dans la meilleure oreille à l’âge adulte, 30 décibels chez les enfants) parmi lesquelles 34 millions d’enfants. De plus, 1,1 milliards de jeunes s’exposent à un risque de déficience auditive en raison d’une exposition au bruit excessive dans un cadre récréatif. Rien qu’en France, selon l’enquête Handicap-Santé, 10 millions de personnes rencontrent des problèmes d’audition, dont un français sur deux ayant plus de cinquante ans.
Il est aujourd’hui possible de corriger la plupart des déficiences auditives grâce à des appareils de plus en plus sophistiqués et discrets, au point que ceux qui en sont équipés peuvent ne plus être gênés pour la pratique artistique. Mais lorsqu’il n’est pas corrigé, ou imparfaitement, le handicap auditif n’est pas sans conséquence sur la qualité de vie des personnes qui en souffrent : maux de tête, acouphènes, difficultés de concentration, de communication et de compréhension des autres. Autant de troubles qui entraînent dans certains cas isolement, perte de confiance en soi voire dépression.
Il est courant de croire que la déficience auditive n’impacte pas l’accès aux spectacles de danse, art intimement lié à la vue. Pourtant, en dehors des difficultés liées à la perception des créations sonores, les personnes sourdes et malentendantes rencontrent souvent des difficultés de compréhension des œuvres et d’accès aux lieux de spectacles.
Pour rendre les lieux de spectacles accessibles aux personnes sourdes et malentendantes, deux types d’aides techniques sont souvent utilisés : le sur-titrage qui consiste à projeter du texte, en général au-dessus de la scène, et les boucles à induction magnétique. Ces boucles permettent d’entendre des sources sonores en s’affranchissant de la distance, du bruit ambiant et des phénomènes d’échos et de réverbérations sonores.
Outre ces aides techniques, certaines salles jouent sur le placement en réservant certaines places à proximité de la scène aux personnes en situation de handicap et font usage d’installations sonores qui favorisent l’entente sonore et la lecture labiale. Toutefois, l’accès même aux spectacles reste conditionné à une véritable communication préalable, permettant aux personnes en situation de difficultés auditives de connaître les spectacles accessibles.
A défaut d’accès direct, le numérique est un palliatif particulièrement intéressant pour les personnes atteintes d’un handicap auditif. En effet, la possibilité d’utiliser un casque qui amplifie le son sans bruits parasites alentours à domicile et de bénéficier du sous-titrage pour certaines œuvres offrent de bonnes conditions d’accès aux œuvres. On notera l’excellent travail de la Cie Danse des Signes qui rend accessible la chanson , des œuvres d’art, ou des chorégraphies par la langue des signes. Des sites comme Numéridanse, Ina ou Arte concert proposent ainsi de nombreux spectacles dansants en différé.
L’accès aux lieux d’enseignements et aux cours de danse des personnes en situation de handicap auditif
La plupart des personnes ayant de troubles auditifs s’interdisent la pratique de la danse en raison de leur surdité. La danse étant liée à la musique, les malentendants considèrent que cet art, contrairement à d’autres pratiques artistiques et sportives, leur sont inaccessibles. Pourtant, de nombreuses solutions permettent de dépasser cette difficulté pour rendre accessible les cours de danse aux élèves souffrant d’une baisse de leur acuité auditive.
Mais avant d’accueillir une personne en situation de handicap auditif – et cela est valable quel que soit le handicap – il est primordial d’engager une réflexion globale sur l’accessibilité des cours de danse, des formations et des locaux. Comment communique-t-on ? Les locaux sont-ils accessibles physiquement ? Le dispositif de sécurité permet-il de protéger également les élèves en situation de handicap ? Notre site internet fait-il référence à notre politique d’accessibilité ? Toutes ces questions doivent être posées en amont, dans le cadre d’une réflexion initiée avec tout le personnel.
Par ailleurs, pour garantir l’accueil d’un élève en situation de déficience auditive dans de bonnes conditions, il convient de préparer sa venue en définissant son projet personnel. Il est primordial de s’entretenir avec l’élève et/ou ses parents afin de pouvoir l’orienter vers des objectifs adaptés, des cours lui permettant de s’épanouir. L’entretien préliminaire est aussi l’occasion pour l’enseignant de réfléchir à l’adaptation de ses méthodes d’enseignement, si nécessaire en prenant contact avec des associations.
L’accueil au premier cours est aussi un évènement auquel il convient de porter une attention particulière. Il doit permettre d’engager une discussion entre les élèves pour évoquer le handicap, sans barrières ni lourdeurs. Chacun doit être en mesure d’exprimer ses attentes, ses éventuelles craintes, de se présenter.
Les personnes atteintes de surdité vivent dans un monde visuel et ont souvent des difficultés de communication. Les appareils auditifs n’étant pas toujours adaptés à la pratique sportive, il est nécessaire de développer des chemins d’apprentissage qui permettent à l’élève de comprendre et se faire comprendre. Si la reproduction des mouvements basés sur les capacités visuelles ne pose pas de problèmes, la compréhension orale et la danse en musique peuvent être plus compliquées. L’enseignant peut bien entendu utiliser la langue des signes si l’élève et lui-même la maitrisent ou apprendre quelques signes et les faire apprendre à tous les élèves. Il peut aussi privilégier la formation en cercle et l’utilisation de miroirs qui facilitent la lecture labiale. Bien entendu, dans ce cas, la luminosité de la salle devra permettre la lecture labiale et l’enseignant devra être attentif à son articulation et à l’utilisation de jeux de regards pour se faire comprendre.
D’autres méthodes d’apprentissage favorisent pour leur part la danse sans musique, en se concentrant sur le poids du corps et les appuis. Il est également possible d’utiliser des images pour initier le travail poétique habituellement fait avec les mots ou les vibrations, perçues par tous grâce au système sensoriel du corps (on parle alors de sono-somesthésie). Les possibles sont infinis dès lors que l’élève et l’enseignant travaillent ensemble et communiquent. Au final, il n’y a pas de méthode toute faite d’apprentissage, l’enseignement de la danse est le fruit d’une co-construction, d’une relation de confiance entre un élève et son enseignant. A titre d’exemple, les créations de la compagnie de danse Gaullaudet Dance Company interprétées par des personnes mal entendantes montrent à merveille l’aboutissement de cet apprentissage.
A La Possible Échappée, nous sommes convaincus que le handicap auditif n’est pas un frein à l’apprentissage de la danse et à l’accès aux spectacles dansants. Au contraire, la différence invite à trouver de nouvelles voies d’apprentissage. La pratique de la danse en situation de handicap est une richesse, tant pour l’enseignant que les élèves. Nos ateliers pédagogiques et notre compagnie de danse Regards en Lignes en sont la preuve : en étant à l’écoute de l’autre, en comprenant les besoins de chacun, la création s’invite toujours dans la danse.